LE CHANT DU DEDANS
Un matin, en chantonnant l’air d’une des chansons que j’ai inventées, j’entends un accompagnement instrumental jouer une mélodie au violon ! C’est une belle surprise de mon intériorité.
Je ne suis jamais rassasiée de toutes ces manifestations.
Après avoir entendu deux amies évoquer ce que leur procure le chant (sans avoir tout à fait les mots pour le raconter), je me suis dit que je ne l’avais peut-être pas moi-même exprimé totalement dans mon écrit Le chant du dedans.
J’ai envie d’approfondir ce lien au chant. J’ai reporté longtemps l’écriture, mais ce mardi 5 novembre, alors que des mots germent peu à peu dans l’obscurité de la chambre, je décide de me lever. Il est 4 heures du mat ! Je me sens prête à gravir cette montagne…
Debout, la tâche me semble quand même ardue. Mon stylo coure dans tous les sens après les mots qui se couchent sur le papier comme des herbes folles. On ne fait pas le tour de la terre en quelques lignes, pas vrai ?
En effet, écrire sur le chant, cela ne revient-il pas à écrire sur la liberté et l’amour, la beauté, vastes sujets dont on ne trouve pas toujours les mots justes pour relater au plus près de la sensation, les ressentis, les teintes de l’émotion ? En effet, qu’est-ce que cela fait de chanter, d'aimer de tout son cœur, de se laisser empoigner par la musique, d’être véritablement libre ? Avons-nous déjà approché le bouton du sentiment, déjà touché avec le cœur le noyau de l’âme, dont la poésie est la beauté même ?
Je me recouche vers 7 heures. Une image me happe : je me vois embarquée sur le grand océan, épouser les remous, contemplant tous les éclats de lumière se réverbérant dans le ciel et sur les vagues, la barque longeant des rochers à moyenne distance.
Sous cette lumière-là, le chant, c’est de l’émotion pure ! Il m’embarque loin des choses auxquelles je me raccroche habituellement, là où je n’irais pas forcément dans la vie.
En chantant, je passe entre les bras du tangible et de l’impalpable. Esquive les rochers pour tenter de rejoindre la note juste, la justesse de l’émotion. Ne cherche plus l’horizon des yeux pour me rassurer, mais lâche la prise du connu, du contrôle et de l’irréversible. Je retrouve la fougue des chevaux afin d’embrasser l’immensité de mon être, atténuer l’immense nostalgie de quelque chose que j’attends de vivre depuis toujours sans pouvoir l’imaginer, l’accoster ou même l’espérer. La musique en serait-t-elle le vaisseau ? Serait-t-elle le vaisseau de mon âme ?
Dans la chapelle de l’être, ou dans cette amphore au fond des mers, il n’y a plus qu’à laisser frémir les notes amoureuses, toutes les belles nuances de la sensibilité humaine, du courage à l’espérance, afin de faire scintiller le trésor enfoui.
Dans l’improvisation, je prends des risques, celui d’être à côté, de chanter faux, de faire chevroter ma voix, de fatiguer mes cordes vocales… Je me laisse inspirer seconde après seconde, je m’aventure dans des rythmes différents, en faisant osciller les aiguilles de l’aigüe et du grave, j’amplifie, je murmure, je crée des courants, des occasions. Les ondes musicales se déploient et se rétractent tel un cœur qui bat.
Quel espace ouvre le chant ? Le chant se jette dans l’océan : le vaste, le profond, l’illimité. L’oubli. L’oubli de soi tout en étant encore plus proche de sa vérité qu’on ne l’a jamais été. Laissant les récifs de l’être partiellement accompli, se faire fouetter ou submerger par des vagues d’émotion.
Dans ce goulot de la présence à moi-même, et par la vibration, la terre et le ciel se soulèvent en moi. Moi, particule de l’infiniment grand, j’appelle et je reçois simultanément beaucoup de lumière en retour. Par cette descente en rappel, j’explore mes tréfonds pour déployer dans le même temps mes ailes de goéland dans le ciel.
Mais c’est aussi une quête des origines pour me ramener vers le rivage de ma nécessité d’être. Celle-ci peut être réanimée par la « justesse » d’une simple note, d’où va surgir une émotion inattendue.
Véronique Mahieu
Illustration : Pixabay